JAZZ SUR LE GREEN


 Jazz sur le Green, ce sont des chroniques sur les temps forts de la jazzosphère et des portraits passionnés sur ceux qui la font vivre !




Jazz West Coast, forever



L'Académie du Jazz vient de dévoiler son palmarès 2011! Stan Getz rafle la mise et décroche le Prix de la Meilleure Réédition pour "Quintets : The Clef & Norgran Studio Albums" ! 



Sans conteste, ce coffret de 3 CD relève d'un travail d'édition remarquable. Diffusé sous le mythique format 45Tours pochette cartonnée, il est accompagné d'un riche livret extrêmement fourni ainsi que d'un remarquable essai, signé par le journaliste américain Ashley Kahn, sur la relation privilégié entre Stan Getz et Norman Granz, son imprésario et fidèle ami. Sensation garantie pour un voyage au coeur des 50s !

L'histoire est enregistré à New York entre 1952 et 1956. Martin Luther King devient pasteur à l'église baptiste de l'avenue Dexter à Montgomery en Alabama tandis que Elvis Presley débute sa carrière. Miles Davis se sépare de Juliette Gréco. Marilyn Monroe et Marlo Brondo savourent leurs plus belles années. 

En ce temps là, Stan Getz n'avait pas encore découvert le Brésil et sa bossa nova pourtant il jouait (déjà) au summum de son art !  Un son West coast, simplement extraordinaire, s'échappe de l'ensemble. Accompagné par le guitariste Jimmy Raney (Stella by Starlight, Boby and Soul, Thanks for The Memory) ou par le tromboniste - arrangeur Bob Brookmeyer (Erudition, Rustic Hop, It Don't Mean A Thing) le saxophoniste développe lors de ces enregistrements toutes ses qualités. Et elles s'avèrent être très nombreuses. Stan Getz n'a plus rien à envier à ses idoles Charlie Parker et Lester Young. Quand à Sonny Rollins (potentiellement son rival à l'époque) il peut aller se rhabiller.
The Sound inscrit ses lettres de noblesses, il n'a pas trente ans !

Stan Getz (ts) + Bob Brookmeyer (tb) ou Tony Fruscella (tp), Duke Jordan, John Williams ou Jimmy Rowles (p), Jymmy Raney (g), Bill Crow, Teddy Kotick, Bob Whitlock ou Bill Anthony (b), Frank Isola, Al Levitt ou Max Roach (b). NY - LA 1952-1955

" Les gens pensent que je joue sans effort " regrettait Stan, tant la fluidité et le rythme de son jeux surprenaient. Une chose est sur, pour l'écouter aucun effort n'est requis. Pur plaisir. 



Ecouter : Deezer Discographie de Stan Getz

Découvrir : Academie du Jazz Palmarès 2011
Découvrir : Stan Getz The Sound Official Homepage





Sonny Rollins, la classe à l'américaine 





Barack Obama applaudit des deux mains, tout les regards se tournent vers Sonny Rollins. La scène pourrait sembler presque anodine si elle ne se déroulait pas dans la grande salle de concert du John F. Kennedy Memorial Center for the Performaing Arts de Washington. Ce soir de décembre, le glorieux édifice, dessiné par le moderniste Edward Durell Stone, accueille le gotha américain pour rendre hommage aux artistes qui ont contribué à la richesse culturelle des Etats Unis.

Cheveux blanc soigneusement peignés en arrière, barbe finement taillée, noeud papillon et lunettes de soleil, le jazzman a la voix feutrée jubile. A ses côtés, la chanteuse de Brodway Barbara Cook, le crooner Neil Diamond, le violoncelliste Yo-Yo Ma et l'actrice aux deux Oscars Meryl Streep acquiescent respectueusement.  Au premier rang, Michèle Obama se dresse pleine d'admiration. Ravi Coltrane, le fils du saxophoniste ténor John Coltrane a fait le déplacement. Non loin, le couple Clinton salue la performance. Le vieux sage impressionnait déjà les amateurs passionnés, par sa carrière rarement égalée dans l'histoire du Jazz, autant que pour sa qualité de jeux, son don mélodique et ses talents d'improvisateurs. A plus de 81 ans, il force le respect de l'Amérique entière.


L’éloge est amplement méritée. Si Sonny Rollins a pour principal mérite d'être l'un des rares survivants de la grande époque du Jazz, il n'en est pas moins l'un de ses rois majestueux. Sonny le colosse, Rollins l'increvable. Depuis l'année 1956 et son terrible Saxophone Colossus, le saxophoniste ténor n'a jamais cessé d'explorer les champs musicaux et de porter jusqu'à l’apothéose ses qualités d'instrumentistes. Disciple de Thelonious Monk et admirateur de Charlie Parker, le gamin de la Grosse Pomme grandit non loin des temples de la musique noire new-yorkaise que sont Le Savoy et l'Apollo. Il fait aujourd'hui figure de maître incontesté et de grand prophète de l'ère post-bebop. Sonny Rollins a traversé plus d'un demi-siècle de musique, bravé toutes les modes, survécu à Stan Getz et frôlé la mort à l'âge de 71 ans, s'échappant de justesse de son appartement, voisin du World Trade Center, un certain 11 septembre 2001, avec seulement son saxophone ténor à la main. Alors oui, l'inépuisable Jazzman méritait bien une récompense de plus à entreposer aux côtés du Down Beat Jazz Hall of Fame de 1973 ou du National Endowment for the Arts de 1983, près de son Polar Music Prise de 2007. 


L'actuel Président des Etats-Unis a consacré l'ultime Pape du Jazz, saluant "l'un des plus grands improvisateurs de l'histoire du jazz". Barack Obama s'est déclaré stupéfait par le souffle de Sonny Rollins et sa capacité à produire de longs solos sans répétition et sans jamais la moindre défaillance. Définitivement, qu'il s'agisse de Bill Clinton, enflammé au saxophone ténor, ou de Barack Obama, décorant les grands maîtres de la Culture américaine, force est de constater que les Présidents américains ont, par leurs penchants attendrissant pour le Jazz, une classe certaine.   

A Découvrir : Site Officiel de Sonny Rollins






« Let's play the music, not the background » 


Provocateur timide, objet de toutes les polémiques et moqueries. Instrumentiste talentueux pour les uns, charlatan pour les autres. Ornette Coleman est avant tout un profond admirateur du  saxophoniste Charlie Parker dont il a voulu dynamiter le style. Compositeur de génie, son influence a ouvert grand les portes du jazz. Une musique qui désormais ne connaît plus aucunes frontières.


L'histoire débute entre le Texas et la Californie. Jeune homme, Ornette Coleman travaille comme liftier dans un luxueux hôtel de Los Angeles et étudie la musique en autodidacte. Ses premières publications discographiques, Something else ! The Music Of Ornette Coleman en 1958 & Tomorrow is the question ! en 1959, se heurtent à de vives critiques de la part de ses pairs qui tentent de justifier le "brouhaha" s'échappant de ces disques par un cruel manque de technique instrumentale. Petit florilège de ces douces amabilités : "Une bonne dactylo en ferait autant avec un saxophonesigné par le trompettiste Benny Bailey ou encore "C'est une honte d'avoir à parler d'Ornette Coleman... Un fou totalement dépourvu de génie" dixit le saxophoniste Guy Lafitte. Habilement, le fou en question réplique par la provocation et adopte un saxophone alto en plastique. Jouer jusqu'au bout.

Non content de rompre, en apparence  seulement, avec les années Be-Bop, le trublion choque les biens pensants et autres bigots du Jazz, Hugues Panassié célèbre critique et producteur en tête, avec The Shape of Jazz To Come et This is our music. Le concert Free Jazz A collective Improvisation de 1960 réuni deux quartets improvisant simultanément ! Aux manettes les frémissants : Don Cherry, Scott LaFaro, Billy Higgins, Eric Dolphy, Freddie Hubbard, Charlie Haden, Ed Blackwell. De nombreux étudiants se rendent au concert pensant que celui ci est gratuit (Free Music). On est un peu naïf a vingt ans. Derrière le principe, deux quartets jouent chacun sur un canal stéréo différent, la révolution est immense. Les musiciens entrent en totale communion. Les indications sont approximatives, parfois inexistantes. L'imagination et la sensibilité s'émancipent.


Free Jazz A Collective Improvisation sonne comme un véritable manifeste sans que son auteur puisse en mesurer l'ampleur. Le mouvement Free Jazz est lancé. Il fait l'effet d'une bombe dans l’Amérique revendicatrice des sixties ! Quelque part entre Martin Luther King et Malcom X, Ornette se voit propulsé chef de file d'une avant garde musicale prête à en découdre. Le théoricien de la musique libre ne pouvait rêver meilleure scène. L'année 1966, le New York Times couronne Ornette Coleman "Jazzman of the year". Quelques années après, il développe le concept de l'harmolodie ( toutes tentatives d'ouvrir un dictionnaire lambda seraient vaines ) en associant l'harmonique, la rythmique et la mélodie sur un même pied d'égalité. Écoutez Skies of America avec le London Symphony Orchestra.  Le saxophoniste est décidé à aller encore plus loin. 


Fort de ses pérégrinations africaines, Ornette coleman prend conscience du rôle majeur de la dimension physique dans l'expérience musicale. Il fonde le groupe Prime Time et rassemble autour de lui une paire de guitaristes, une de bassistes et une de percussionnistes. En 1984 il est récompensé en qualité de Jazz Master par le très prestigieux National Endowment for the Arts ( la plus haute récompense de la nation américaine). Toujours prolifique, le maître plonge la tête la première dans la musique funk avant d'explorer les profondeurs du blues agrémentées des nouvelles influences rap, hip-hop et électronique avec notamment Song X en 1986. Raillé par toute une profession,  longtemps boudé du public, Ornette Coleman aura tenu bon et gravi une à une les marches de la reconnaissance et du succès. En 2010, le dynamiteur paisible âgé de quatre-vingts ans, témoin  du paradoxe irrésolu de son oeuvre et de sa vie, a reçu un doctorat honorifique de l'université du Michigan des mains du président Barack Obama. Mission accomplie Ornette ?


Découvrir : Ornette Coleman le Site Officiel

Ecouter : Deezer Discographie de Ornette Coleman
Lire : Free Jazz-Black Power de Philippe Carles et Jean Louis Commoli